Depuis vendredi tous les journaux en parlent : les résultats d’une étude de quatre ans sur le vernis de 5 instruments de Stradivarius viennent d’être publiés dans Angewandte chemie

Tout le monde en parle, je me dois donc d’en parler également, surtout, qu’avec une centaine de luthiers, nous avons eu les résultats en avant première au dernier congrès de l’aladfi (association des luthiers et archetiers pour le développement de la facture instrumentale). Nous étions d’ailleurs priés d’éteindre tout enregistreur 🙂 .

La presse étant ce qu’elle est, elle se doit d’attirer l’œil et l’on voit fleurir partout des titres tapageurs :

– Le Monde : Un des secrets des stradivarius dévoilé
– 20 minutes : Le Stradivarius n’a (presque) plus de secret
– L’express : Les mystères des Stradivarius révèlés

Il y a aussi un article et des photos sur le site de la cité de la musique

En réalité cette étude pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. En effet,  d’une part ses conclusions sont en contradiction avec les études scientifiques précédentes (paragraphe II) et d’autre part elles sont aussi en contradiction avec les résultats obtenus par Brigitte Brandmair, qui est aussi intervenue lors de ce congrès et qui publie prochainement un livre à ce sujet.

Je ne dis pas ça pour contester les résultats obtenus par l’équipe de M. Echard, ni par aucune de ces autres études – je serais d’ailleurs bien mal placée pour le faire.

Si je vous en fait part, c’est pour interroger le « dogmatisme »  avec lequel nous nous comportons bien souvent vis-à-vis de la science.
Cette attitude est plutôt logique puisque nous ne sommes pas des hyper-spécialistes et que ces études nous sont présentées, la plupart du temps, soit en des termes absconds, soit de manière extrêmement simpliste.

Cependant il y a deux choses que chacun d’entre nous peut et se doit  d’interroger :

–    L’indépendance des chercheurs : Qui sont-ils ? Par qui sont-ils financés ?
–    La méthodologie utilisée : Nous est-elle clairement expliquée ? Savons-nous s’il s’agit d’une méthode statistique, et dans ce cas connaissons-nous l’échantillon étudié ? S’il s’agit de prélèvements, savons-nous comment ils ont été fait, quelle est leur origine exacte?

Lors du congrès, j’ai apprécié le travail de vulgarisation effectué par messieurs Echard et Soulier et surtout la sincérité avec lequel ils expliquaient que leur travail n’en est qu’à son début : n’oublions pas qu’il s’agit d’un échantillon de seulement 4 violons et 1 tête de viole d’amour, on est loin des quelques 650 instruments de Strad qui existent encore! Ils ont insisté sur les limites de la science et sur toutes les recherches qu’il reste encore à faire avant de pouvoir faire des affirmations.

En ce qui concerne les résultats différents obtenus par Mme  Brandmair, il est difficile de se faire une idée précise puisque pour garder le secret de certains éléments qu’elle ne souhaite révéler que dans son livre, elle n’a pas expliqué toutes les étapes de son travail.
Cependant il semblerait que les outils utilisés par les deux groupes de chercheurs soient un peu différents :

–    M. Echard a obtenu la composition des couches de vernis par l’utilisation d’infra-rouges (FTIR) dans le synchrotron, pour lui la préparation du bois n’est qu’une simple couche d’huile siccative. Cependant, sur d’autres instruments produits dans d’autres villes d’Europe à la même époque, comme le violoncelle construit à Paris par Le Bocquay qui se trouve à la cité de la musique, M.Echard a trouvé des proteines dans la sous-couche ( de la colle). Il affirme donc qu’il n’y en avait pas sur les prélèvements de vernis de Stradivarius qu’il a analysés.

–    Mme Brandmair, de son côté, aurait utilisé la méthode ELISA (Enzyme linked immunosorbent assay) ce qui lui aurait permis d’identifier un certain nombre de protéines dans la préparation du bois.

Quoi qu’il en soit, les deux s’accordent à dire qu’ils n’ont pas retrouvé les même résultats que Claire Barlow¹  et Joseph Nagyvary² (voir encore le paragraphe II de la vie des vernis) qui avaient trouvé chacun une sous-couche minérale en guise de Préparation du bois.
Encore une fois dans ces dernières études l’origine des prélèvements n’est pas mentionnée. Peut-être parce  que les propriétaires des Stradivarius n’étaient pas au courant ?

Comme vous le voyez, l’affaire est compliquée et le dernier mot n’a pas encore été dit.

Cependant, le fait que, pour une fois, une équipe de chercheur travaille avec des financements publics et s’attache à choisir précautionneusement (par l’intermédiaire de Balthazar Soulier) l’endroit où prélever des échantillons sur les instruments et à retracer chaque étape de son travail, donne quelque espoir.
Il faut savoir effectivement que les instruments ne sont pas restés indemnes en 300 ans et qu’au cours des nettoyages et réparations qui ont été faites au fil du temps, des retouches de vernis ont été effectuées et du vernis au tampon a été quasi systématiquement appliqué pour redonner du brillant et protéger les zones à nu. C’est pour cette raison que le choix de l’endroit du prélèvement revêt une importance capitale.

Je suis heureuse que ces études soient menées et que l’on sorte du « mysticisme » qui entoure Stradivari, mais veillons à ne pas créer un autre mythe de l’absolu vérité scientifique !

N.B : retrouvez les recherches scientifiques menées à la cité de la musique, ainsi que des pdf des coloques sur cette page

¹Barlow , Claire« Dernières recherches scientifiques sur le fond de bois et les vernis italiens des XVIIe et XVIIIe siècles »  Le vernis : anciens vernis italiens, méthode de fabrication actuelle : compte-rendu de la 1ère journée de la lutherie, Cordes sur Ciel, 22 juillet 2001
Barlow, Claire Y. / Woodhouse, Jim / Firm ground : a detailed analysis of ground layers under the microscope / Strad (The) -Vol. 100, N° 1187 (avril 1989), pp. 195-197

²Nagyvari « Chemical & Engineering News » :  The chemistry of a Stradivarius


4 commentaires

Marinou · 9 décembre 2009 à 18 h 16 min

Super intéressant, merci !
Ton post est vraiment intelligent dans le sens où tu fais bien comprendre qu’il ne nous est pas interdit de réfléchir avec nos propres neurones pour prendre les distances que l’on veut par rapport à ce que disent les sciences, les traditions, les mystiques…
Par ailleurs j’ai un peu halluciné par rapport à l’article dont tu fais référence sur le journal le Monde : ils ont fait un beau travail de suspense, mais au final on ne comprend pas grand chose à cette étude et on n’a beaucoup moins appris que la récapitulation que tu fais ici. Ils font dans le mystique, c’est très racoleur et joliment écrit mais franchement pas très journalistique.
bref !
Tout ça pour te dire un grand bravo pour ton travail sur ce blog ; en plus de ton travail de luthière (ça se dit au féminin?) !

    Anaïs Gassin · 9 décembre 2009 à 22 h 10 min

    Pour répondre à ta dernière question, que tu n’es pas la première à me poser, j’ai décidé de me documenter (je vais finir par faire croire que je suis une maniaque de la vérification d’informations, mais bon j’assume ;-)) et j’ai trouvé cet article que je trouve fort intéressant. Je conseille de lire l’avis de l’académie française aussi, très instructif. En somme luthier ou luthière? S’il on s’en tient à l’emploi générique du masculin en langue française, qui n’est pas une désignation machiste mais plutôt une façon de désigner l’Homme (avec H) on pourrait en rester à luthier. Cependant la révision grammaticale de 1998 autorise à féminiser tous les noms de métiers ou de grades et l’usage reste déterminant. Donc : faites comme vous voulez! 🙂

    Enfin merci pour le compliment car ce post m’a demandé un peu de travail. Je suis contente qu’il trouve écho.

      anna · 3 mai 2010 à 8 h 43 min

      H.comme désignation pour m ou f je vois cela du meme oeil.amusant.

Anaïs Gassin · 10 décembre 2009 à 23 h 53 min

Addenda : J’ai ajouté aujourd’hui quelques phrases au sujet de l’étude de M.Echard, car je me suis rendu compte que la façon dont c’était formulé pouvait faire croire qu’il n’avait pas cherché certaines substances.

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